PÂQUES SOUVENIRS D’UN ENFANT DE RUSSANGE DANS LES ANNÉES 1950

A) LE SILENCE DES CLOCHES ET LE TEMPS DES CRÉCELLES

Les cloches partent le jeudi saint lors de l’office du matin au moment du GLORIA …
Le SANCTUS et L’ÉLÉVATION sont rythmés par le bruit des crécelles – remplaçant les clochettes – actionnées par les enfants de chœur.

Dans les rues du village – chacun crécelle là où il habite –  le passage des crécelles s’effectue selon un rituel réglé tel un métronome ; les annonces sont criées dans un silence au lever du bâton du chef (le plus âgé) entre deux crépitements de crécelles : AN…GE…LUS ; MI…DI… remplaçant la sonnerie des cloches de 6 h à 20 h.
Une fois la messe du samedi matin terminée, les crécelleurs se rassemblent munis d’un grand panier d’osier au fond ouaté de paille et d’une tire-lire et passent de maison en maison quêter leur salaire pour ces jours de labeur – demandant si le coq a bien pondu – recevant des œufs frais, œufs colorés, saucisson du boucher, menue monnaie ; la tournée terminée, vient le partage sans tricherie, ni mauvaise humeur, (en fonction des actes de présence pendant cette semaine sainte, mais il n’y a jamais d’absent…même au passage de 6 h du matin !!!) avec le sentiment du travail bien fait.
A midi, les cloches sonnent de plus belle les douze coups et les crécelles sont rangées dans le tiroir de l’armoire lorraine de la chambre à coucher jusqu’à l’année prochaine.

Mais cette année 2020 les crécelles sont confinées…et le merveilleux a disparu momentanément (???).
PS : les filles sont exclues de ces festivités ; à cette époque, il n’y a pas de fille enfant de chœur. Les crécelleurs sont des garçons d’âge scolaire.

B) LA SEMAINE SAINTE A RUSSANGE

Les offices célébrés pendant cette semaine sainte sont marqués par de nombreuses coutumes.
Le DIMANCHE DES RAMEAUX marque le début de la semaine sainte ; il commémore l’entrée triomphale de JÉSUS à JÉRUSALEM acclamé par une foule agitant des branches de palmier.
Chez nous, le buis, arbuste à feuilles persistantes, vert à cette saison, est censé protéger la maison une fois béni. A cette époque beaucoup de familles entretiennent un buis dans un coin de leur jardin. Après la cérémonie, la maîtresse de maison place un rameau de buis bénit dans chacune des pièces en le glissant derrière un bénitier ou un crucifix au-dessus de la porte, un cadre (ST JOSEPH, STE MARIE, LA CÈNE) après avoir enlevé celui de l’année précédente et l’avoir mis aux flammes ; elle agit de même dans les dépendances (hangar, écurie, grenier).
Après les vêpres, les familles se rendent au cimetière et déposent dans le bénitier de la tombe un rameau de buis pour bénir le défunt.

Le JEUDI SAINT se caractérise par le lavement des pieds des enfants de chœur par le prêtre… en souvenir de JÉSUS qui a lavé les pieds de ses apôtres lors de son dernier repas pris avec eux la veille de sa mort (la cène) ; un exemple d’humilité et de charité fraternelle adressé à ses disciples.
Dans les clochers, les cordes sont remontées pour éviter les mauvaises plaisanteries ; les cloches cessent de tinter : elles sont parties à ROME pour aller se confesser, faire pénitence, obtenir le baptême disent les anciens d’un air malicieux !!!!

Le VENDREDI SAINT

à 3 h de l’après midi – après les trois passages des crécelleurs criant : au premier coup entendez-vous, au deuxième coup préparez-vous, au troisième coup dépêchez-vous – le prêtre dévoile la croix du crucifié couverte d’étoffe violette depuis le dimanche de la passion ; les fidèles se prosternent devant celle-ci ou baisent le CHRIST et commencent la récitation du chemin de croix devant chacune des quatorze stations qui représentent les scènes de la passion dans l’église Saint Luc. En ce jour de deuil – mort du CHRIST au GOLGOTHA – les repas sont frugaux ; les gens font « maigre » et il n’est pas question d’enfreindre les interdits alimentaires.
A la maison, le menu est immuable : à midi c’est une soupe de haricots verts stérilisés dans des bouteilles et retirés avec un fil de fer recourbé, mélangés avec des carottes et des pommes de terre ; mais pas un pouce de gras ou de lard !!! elle est accompagnée de crêpes de pommes de terre faites maison : les gromperpaangechs ; le soir, ce sont les pommes de terre vapeur saupoudrées d’oignons frits trempées dans du lait à l’ aide d’une cuillère à soupe.
Personne ne touche à la viande ; la boucherie du village est fermée (droit local). Une coutume veut aussi que l’ on plante des pommes de terre ce jour là : le trou creusé le matin se réchauffe pendant la journée, puis accueille la semence – primeur avant d’être refermé après le chemin de croix !!!

Le SAMEDI SAINT

On procède à la bénédiction de l’eau – l’eau salvatrice – et du feu nouveau – feu purificateur- dès 5 h du matin dans un cuveau ou un baquet sous le clocher de l’église saint LUC ; la vieille eau bénite est jetée et les paroissiens remplissent de nouvelles bouteilles pour l’ année à venir.
Dans la maisonnée, c’ est le grand nettoyage de printemps : ça sent le propre : alcool à brûler pour les carreaux, savon noir et javel pour les carrelages noirs et blancs de la cuisine et du couloir, paille de fer, huile et cire sur le parquet des autres chambres.
Le soir, les enfants creusent dans le jardin un trou tapissé de mousse ou de paille sous les feuilles de rhubarbe ou les touffes de pivoines ou narcisses naissantes : un nid pour accueillir les œufs du lapin ou lièvre de Pâques.
Après cette journée harassante et le coucher des enfants, reste à colorer les œufs cuits dur dans des bols d’eau bouillante vinaigrée contenant bandes de papier multicolore, marc de café, chicorée ou pelures d’oignon (écolo avant l’heure !!!).
Une couenne de lard frottée sur la coquille sèche aux couleurs rouge, bleu, vert, jaune, orange, brun, violet donne du brillant 

Le DIMANCHE de PÂQUES.

L’angélus des cloches du dimanche matin réveille les enfants plus tôt que d’ habitude ; excités, ils déboulent dans le jardin … leurs yeux s’illuminent … des cris de joie fusent : le lièvre de Pâques est passé déposant œufs durs colorés et quelques œufs en chocolat… et rien d’autre.
A 10h, les cloches, de retour de ROME, plus légères car débarrassées de leurs péchés, sonnent à toute volée et annoncent la messe solennelle : c’ est l’allégresse, le CHRIST est ressuscité.
L’ église est pleine de monde : les femmes assises à gauche portent chapeau ou foulard ; à droite, les hommes endimanchés sont tête nue ; devant le chœur, filles et garçons d’ âge scolaire (de la maternelle au certif’) en habits neufs, sont sous la surveillance de leur maître ou maîtresse d’ école…une autre époque…
Il règne un silence monacal ; et gare aux bavards…la baguette retrouverait du service à la rentrée des vacances de Pâques ; celles-ci encadrent alors les fêtes pascales et on ne parle pas encore de vacances de printemps. Toutes les familles du village se devaient de participer à cette grand-messe, la plus importante – sans conteste- du calendrier chrétien et tout le monde FAIT SES PÂQUES.
Pâques est aussi associé à un certain nombre de traditions alimentaires : on déguste un gigot d’agneau accompagné de flageolets ou de cocos blancs arrosés d’un jet de vinaigre ; mais pourquoi de l’agneau ?
Dans la bible, agneau est le nom donné à JÉSUS par ST JEAN – BAPTISTE le jour de son baptême dans les eaux du JOURDAIN « voici l’agneau de DIEU qui enlève le péché du monde » (ÉVANGILE de ST JEAN).
Le jour de la Pâque juive un agneau est immolé pour « plaire à DIEU »…disent les textes anciens ; c’est donc en héritage de ces traditions et pour se rappeler le sacrifice du CHRIST que l’on consomme un agneau le jour de Pâques.
Certaines boulangeries – pâtisseries proposent même un biscuit en forme d’ agneau saupoudré de sucre glace ; mais ce n’ est pas encore l’abondance des œufs et des motifs en chocolats (cloche, poule, coq, poussin, canard, lapin, agneau, chaton, poisson, coquillage, crevette, homard, tortue et j’ en passe !!!).
Au lendemain de la guerre, le chocolat est un produit de grand luxe pour les familles ouvrières de retour d’ exil (Poitou) ayant d’ autres priorités ; oubliés les symboles, finie la spiritualité, place au mercantilisme.

Le LUNDI de PÂQUES

Le LUNDI de PÂQUES. Après la petite messe ou la messe basse de 7 h et la grand-messe de 10h les paroissiens se reposent et finissent les « restes ».
Certains chôment et « vont promener » ; d’autres au contraire, en profitent pour se rendre dans des sanctuaires en pèlerinage ou des chapelles disséminées dans la campagne.
J’ espère que ma mémoire n’a pas trop failli et que mes réflexions ont réveillé en vous quelques souvenirs d’ enfance.
Livres à consulter pour satisfaire votre curiosité :

  • LA TANKIOTE : usages traditionnels en Lorraine. Georges L’HÖTE P.U.N Éditions Serpenoise
  • AU TEMPS DE LA SOUPE AU LARD : la vie traditionnelle d’autrefois en Lorraine. Daniel BONTEMPS. Éditons Serpenoise
  • L’ ANNÉE LORRAINE : une petite histoire des fêtes, coutumes et traditions populaires en Lorraine. Kevin GOEURIOT .Éditions des Paraiges
  • DICTIONNAIRE CULTUREL DE LA BIBLE. Cerf. NATHAN.

Quelques définitions intéressantes :

Tandis que le calendrier a été conçu dans le cadre du système solaire, la fête mobile de Pâques dépend des phases lunaires et tombe toujours le premier dimanche qui suit la pleine lune après l’équinoxe de printemps (21 mars).
La fête mobile de l’ Ascension se situe 40 jours après Pâques et celle de la Pentecôte 50 jours après . 
PÂQUES chez les chrétiens (au pluriel) : la mort du CHRIST et le retour à la vie, la fin de l’hiver et le retour du printemps, la fin du jeûne et le renouveau et le temps de la joie…etc.
PÂQUE chez les juifs (au singulier) LA PÂQUE JUIVE commémore la sortie d’Égypte, le passage de la mer rouge.
AZYME : se dit d’un pain sans levain, non fermenté ; le peuple avec MOÏSE est parti à la hâte sans attendre que la pâte fût levée (sortie d’Égypte)
FAIRE SES PÂQUES : selon le rite de l’ église catholique, se confesser et communier le jour de Pâques.

Où se situe RUSSANGE ??
Commune dans le coin nord du département de la MOSELLE ( annexée de 1871 à 1918 ), limitrophe à BELVAL (LUXEMBOURG) et VILLERUPT (MEURTHE ET MOSELLE, FRANCE DE L’INTÉRIEUR jusqu’en 1918) d’ où : les cloches apportent les chocolats le matin de Pâques à VILLERUPT et le LIÈVRE se charge de la même besogne à RUSSANGE.
De quoi déboussoler et intriguer nos jeunes enfants.

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